vendredi 16 septembre 2011

Le Monopole.


Mais qu'est-ce que c'est que cette tendance totalement humaine a vouloir être tout seul sur un bon coup ?…

Comme disait le père Rockefeller (John D.) au plus fort de la croissance de sa petite entreprise (Standard Oil), "Competition is a sin". La concurrence est un péché.


John Davison Rockefeller,
l'homme le plus riche de tous les temps

Alors pourquoi, du plus faible au plus fort, pourquoi donc tout le monde veut gagner ?
La réponse est dans la question, je crois bien.

Dans une de mes vies antérieures, j'ai passé un certain temps dans les rues, sur les trottoirs. J'étais comme on dit en anglais, "street vendor", vendeur des rues, et je me souviens d'un jour assez particulier, c'était à Rennes et je vendais des fils à scoubidous, vous savez, ces petits spaghettis de plastique multicolores qui servent à fabriquer ces petits objets magnifiques, les "scoubidous", après maint laçage et tricotage régulier, un passe-temps idéal pour avoir des enfants sages et des adultes amusés. Bref, j'avais très habilement et artistiquement disposé mes bottes de fils dans un joli landau récupéré chez Emmaüs. L'histoire du landau, c'est pour, dans l'idéal, pouvoir se déplacer d'une rue à l'autre en douceur, et au nez et à la barbe de la maréchaussée qui, comme chacun sait, a toujours été férue de chasse aux indépendants des rues.


Vendeur des rues - USA 1923

Bref, je déballais ma marchandise, ou plutôt je disposais mon landau, devant les passants ébahis, sur les marchés, sur les places et les trottoirs de Bretagne, à cette époque. Et donc, un certain jour que ma mémoire retient encore parfaitement aujourd'hui, j'étais là, à un coin de rue très passant, un samedi après-midi, c'était au printemps et l'air était vif, mais les clients nombreux, le samedi étant par tradition le jour de sortie et des achats dans cette bonne ville.
Et là, voilà-t-y pas que là, juste en face de moi, à une vingtaine de mètres de l'autre côté de la large rue piétonne où je croyais avoir le monopole de la vente de "fils à scoubidous", se pointe un mec, genre "voyageur" (les initiés comprendront) avec une poussette à commissions à roulettes de mamie (à la poussette les roulettes, pas à la mamie)… pleine de "fils à scoubidous" !
Et il s'installe, là, à vingt mètres en face de moi, au même carrefour. Il faut savoir que la ville de Rennes, un samedi, est remplie de bout en bout de passants, d'acheteurs potentiels, de "clients", et que donc il aurait pu se mettre n'importe où ailleurs.
Le dialogue qui suivit entre lui et moi m'échappe, mais le fait est que je vins à sa hauteur - ce qui déjà pouvait à l'époque être considéré comme un acte d'agression entre camelots irrités - et que je lui communiquai mes sentiments, à savoir, que la ville était immense, et qu'il pourrait tout aussi bien se placer à un autre carrefour tout aussi passant, pourquoi pas, qu'il aurait autant de chance de faire une bonne, ou même très bonne journée, et que je venais d'arriver et que j'étais là juste avant lui et que donc, ne serait-ce que par politesse et respect, il pouvait aller… AILLEURS !
La discussion s'envenima très vite devant ce que j'interprétai à l'époque comme de la tête de bois bretonne, mâtinée qui plus est de fierté manouche. Je retournai dans mon coin la tête basse et le coeur lourd.
Inutile de vous dire que la journée fut tendue. Nous étions face à face, à portée de regard. Chaque client qui allait chez l'un aurait pu tout aussi bien aller chez l'autre, et était donc perdu pour l'un de nous. Je vivais avec horreur l'intrusion d'un concurrent indésiré sur un marché que je voulais contrôler !!! C'est affreux, je peux vous le dire.
Cette journée bien mal commencée ne se finit pas mal, mais ce fut moins une, comme on dit. Le soir tombant, la tension monta, il fit plusieurs aller-retours entre sa poussette et mon landau, les yeux chargés de menaces et le verbe de plus en plus violent. C'était lui maintenant qui voulait que je parte, et comme il avait l'intention de revenir ici tous les samedis, que je ne revienne jamais ! Il me provoqua en duel - je ne vois pas d'autre mot - avec des mots du genre : "Tu me suis, j'ai un Mercédès, je connais un coin tranquille, et là, on discute."
Je remballai mon landau, mes fils, rejoignis mon camion… et ne revins jamais. Ni au rendez-vous, ni au carrefour maudit.

Cette petite histoire en dit long sur nos désirs et nos craintes, non ?
Encore un paradoxe de la nature humaine… On veut maîtriser la situation, être seul, et voici qu'un confrère se présente, et là, aussitôt, on veut l'éliminer… Cela ressemble bien à un réflexe de survie, non ? Je dirais même à une sorte de jalousie… Freud serait vivant, nul doute qu'il nous pondrait une belle théorie anale sur la rétention d'information, la lutte pour l'unicité du point de vue et de l'exploitation des ressources, et donc le "désir de monopole"…
C'est sexuel tout ça, c'est sûr, non ?…



Angelo Bronzino, Les triomphes de Vénus. Détail : la Jalousie



Gérard Foucher
www.youtube.com/gerardfoucher75108
www.twitter.com/gerardfoucher

1 commentaire:

krn a dit…

Si on assimile le désir de possession avec la sexualité, alors oui, sans doute, mais je crois que ça vient de plus loin que ça, je crois que ça a un rapport avec la peur et l'insécurité.
De la même manière que les femmes qui sont délaissées par leur mari accumulent les kilos pour être "entourées", ceux qui ont peur de tout perdre amassent le plus de biens possibles et veulent éliminer leurs éventuels concurrents.
La jalousie n'est pas qu'un vilain défaut, c'est une maladie mentale qui ne dit pas son nom, car la quasi totalité de la planète en est atteinte.